
A la recherche de François PK 14
Il m’avait dit qu’il est né un 08 août, et cette année là, j’avais prévu célébrer nos anniversaires le 18 août, mon jour. Mais hélas je ne le retrouve nulle part 😭😭😭 mon François 😭😭😭😭😭
🌃 CE SOIR LÀ…
Quelques heures avant la pluie, je suis sortie faire une livraison (sur la moto de Guy, il est en quelques sortes mon chauffeur à temps partiel)…
En rentrant, nous sommes passés par Ndokoti où nous avons été coincés dans l’embouteillage pendant quelques minutes. Alors que j’avais mon casque aux oreilles écoutant « Massa » de Charlotte Dipanda. Cette chanson me rappelle un triste souvenir que j’ai partagé il y’a 3ans avec ceux qui étaient abonnés à mon tout premier compte. Peut-être trouverais-je un jour la force de vous en parler. Néanmoins, cette chanson reste dans la liste de mes préférées…
Alors que je la mimais dans l’embouteillage, j’aperçus à quelques 10m de moi un visage qui m’a paru familier. Un jeune homme qui tenait un vêtement en main en criant le prix « 5-500 c’est ndjo’oh, 500 seulement… » au fur et à mesure que je me rapprochais, les souvenirs me revenaient. Il s’agit de François, un ami que j’ai rencontré à l’Université de Douala il y’a 5ans. À l’époque, j’étais au niveau 2 à l’IUT de Douala filière GBM (génie biomédicale).
Un samedi, alors que j’étudiais dans une salle de classe vide, il est entré avec un jeune qu’on pouvait penser être son camarade de classe, et ils ont travaillé au tableau. Ils faisaient un exercice en électronique c’était l’une de mes bêtes noires.
En fait ce jour, il est entré sans aucun document, il était vêtu d’une chemisette visiblement délavée, un pantalon jean sale effiloché en bas qui trainait un peu au sol, avec aux pieds les sans-confiances. Il n’était pas coiffé, ses cheveux étaient répartis sur sa tête en petites boules désordonnées… Bref, il n’avait rien pour attirer le regard.
Son camarade visiblement soigné avait meilleure allure. Il avait un gros sac au dos contenant beaucoup de fournitures…
En fait, c’est son ami qui avait besoin d’aide. Et François était sollicité pour sa grande intelligence. Il n’avait pas besoin de consulter un document, à chaque question, il répondait avec des mots simples et flexibles. J’étais au fond de la salle et j’observais tout ! Quand ils ont fini de travailler (2h plus tard), son ami a rangé ses effets et lui a glissé quelques sous dans la main et s’en alla. Pendant que François manipulait son téléphone (un parpaing), je suis allée vers lui pour également solliciter son aide dans la même matière mais des exercices différents. Ce jour, il m’a fait comprendre en 5min, ce que je n’avais pas compris pendant 1e semaine. Donnez lui seulement l’énoncé d’une question, il a déjà deviné l’exercice et même les données chiffrées. Ce sont ces cours qu’ils donnaient à ceux qui le sollicitaient qui lui permettaient d’avoir son pain quotidien.
Là sur le coup, le courant est passé et j’ai pris son contact. On travaillait une fois par semaine et chaque fois je m’arrangeais à venir avec un repas pour deux, et à la fin je lui donnais « une bière ».
Avec le temps, les liens se nouaient et j’en apprenais un peu plus sur sa personne. Il est un orphelin de père et de mère, qui a presque grandi dans la rue. Il vivait avec son grand-père.
La rue était son lieu de service, et il allait de temps en temps à l’Université dans les amphis prendre des cours, mais il n’avait jamais été inscrit à l’Université. Il me disait qu’il a eu un baccalauréat C, mais ne m’a jamais donné le nom de son établissement secondaire. J’ai été chez eux une fois quand il m’a dit que son grand-père était gravement malade, et j’ai eu des larmes aux yeux.
Il vivait au fin fond de PK 14, et avant même d’ arriver chez eux, j’étais déjà pleine de boue. Mais je n’éprouvais aucun regret. Il vivait dans une pièce en planches sous un toit troué qu’il essayait tant bien que mal de de refermer, la pièce s’inondait quand il pleuvait. Il y avait dans la pièce un matelas (posé sur une planche) qu’il partageait avec son grand-père, des sacs mbandjock qui contenaient leurs quelques vêtements, une table sur laquelle était posés certaines de ses photocopies, une lampe tempête, une bougie et des allumettes. Il n’y avait aucune ampoule dans la pièce, une fenêtre et une porte en boit qu’il a fabriquées.
Ce jour, nous avons acheté à l’entrée du quartier certains médicaments chez celui qu’il appelait docta. Arrivés, nous avons fait près d’un kilomètre encore pour aller puiser de l’eau. Ils n’avaient que 2 seaux et des bouteilles qu’il ramassait à l’Université. Et l’eau du puits était payante. On a fait le plein… Il me restait 5.000f d’argent de poche de la semaine (nous étions un mardi) que j’ai mis avec joie à leur disposition durant cette journée…
Un samedi, après les cours, je l’ai invité chez une tante à l’occasion de l’anniversaire de son enfant. Arrivés, je l’ai installé derrière, proche de la cuisine (la place des privilégiés) pour qu’il ne soit pas soumis aux regards des autres et qu’il tchop à satiété…
Pendant que nous étions entrain de servir les invités, on l’avait laissé derrière au milieu de la bonne bouffe et… À coté du porte feuille de ma tante. Quand nous sommes revenus, il n’était plus là, il avait disparu vidant son plat de nourriture, et ayant soutiré un billet de 10.000f dans le possa (portefeuille) de tata. À l’intérieur, il y avait 30.000, il n’a pris que 10.000f. Heureusement sur moi j’avais de l’argent. Quand ma tante a constaté et réclamé ses dos, je lui ai dit que c’est moi qui lui ai donné parce que mon sac était dans la chambre et à la fin je lui ai remis.
Je n’ai jamais réellement en voulu à François pour ce qu’il a fait ce jour, parce que j’ai touché du doigts son quotidien. Avant le jour de visite chez lui, je vous assure, je n’imaginais pas qu’il y aurait dans ce pays des gens qui vivaient dans ces conditions d’extrême pauvreté. En fait, j’aurais même souhaité qu’il prenne tout ce qu’il y avait dans ce possa, si je savais que c’était pour ne plus nous revoir. Il a pris cet argent parce qu’il avait faim et n’était pas sûre de mettre quelque chose sur la dent demain, pour aider son grand-père et peut-être pour se distraire un peu comme un jeune de son âge. Pour s’acheter une bougie ou du pétrole pour allumer leur lampe parce qu’ils n’avaient pas de lumière chez eux. Il a pris cet argent pour avoir accès au puits du quartier parce qu’il fallait payer pour puiser de l »eau mon portable.
Et ce soir là comme aujourd’hui dans ma chambre, j’ai versé toutes les larmes de mon corps parce que je savais que je n’allais plus revoir celui là que j’appelais affectueusement » mon petit-grand » car, il porte le prénom de mon grand frère, et d’après l’âge qu’il m’avait donné, il était mon petit frère d’un an. Ça se voyait même sur son visage qu’il était encore tout petit.
Ce soir là, je ne l’ai pas appelé pour qu’il ne prenne pas peur, je lui ai juste laissé ce message « je n’approuve pas du tout ce que tu as fait, mais je te pardonne, ce n’est pas pour l’argent qu’on aura des problèmes ». Il ne m’a pas répondu, il ne m’a jamais répondu. Deux jours plus tard je l’ai appelé, son numéro ne passait pas. J’ai voulu me rendre chez lui, mais on était déjà en saison pluvieuse, et arriver là-bas en saison seiche était un véritable parcours du combattant, imaginez en saison pluvieuse.
3 mois plus tard, j’ai pris le courage de me rendre chez lui. Et il n’y avait personne, pas même les traces de son grand-père. Je me suis renseignée, on m’a dit que le vieux était décédé et que François est parti on ne sait où. Les herbes avaient poussées jusqu’à l’intérieur. Ce jour, je fixais l’intérieur en coulant des larmes en me demandant, où est-il ? Où dort-il? De quoi se nourrit-il ? Est-il retourné dans la rue? Et s’il avait été victime de la vindicte populaire parce qu’il avait essayé de reproduire sa besogne ? Et pourtant c’était quelqu’un de bien, un génie qui a juste eu la malchance de naitre au mauvais endroit.
C’était en novembre 2014.
Aujourd’hui, quand je l’ai revu, j’ai sursauté en appelant son prénom à haute voix « François », nos regards ce sont croisés pendant une seconde et il a pris fuite. Je suis descendue de la moto pour essayer de le suivre mais il s’est faufilé entre les comptoirs et je le regardais de loin courir, courir, courir… J’ai essayé de me renseigner sur lui, mais personne ne voulait me répondre, ils croyaient certainement que je voulais piéger leur collègue, et pourtant que non!!!
Je suis remontée sur la moto puis nous avons continué notre chemin. Certainement, mon petit-grand était réfugié quelque part et m’ observait partir. Il n’a pas su lire la joie de le retrouver sur mon visage.
Sur le chemin, j’ai mis le volume haut dans mon casque, et je laissais couler mes larmes en silence, en écoutant cette chanson triste mais donc je ne me détacherai jamais à cause des souvenirs qu’elle m’apporte.
Vous allez peut-être me reprocher d’inclure la politique dans ces écrits, mais vraiment excusez-moi. Excusez-moi de dire une énième fois que François me donne encore plus la foi en Maurice KAMTO. S’il avait l’occasion de réaliser son projet de société, s’il avait l’occasion de mettre à notre disposition ces centres de formation et d’apprentissage donc il a si bien parlé dans son projet de société, des génies comme François développeraient leur immense talent.
Ce pays tue les jeunes, il y’a beaucoup de François dans nos rues qui sont devenus sauveteurs, bensikineurs… Brigands par la force de l’expérience dans la misère.
S’il y’aurait des personnes sur ma page qui reconnaîtraient un François qui a vécu à PK 14 en 2014, et qui obéirait à cette description, s’il-vous-plaît mettez-nous en contact. Je lui ai déjà pardonné.
Binkù la Nerveuse ( joyeux anniversaire mon petit grand. Un jour, ici sur terre où dans un autre monde, on se retrouvera 😪😪)